Diagnostiquée à l'âge adulte, Sarah Belmas, autrice et illustratrice (voir ses publications), publie quotidiennement des strips BD sur le TDAH (voir son compte instagram). Découvrez son interview :
Diagnostiquée à l'âge adulte, Sarah Belmas, autrice et illustratrice (voir ses publications), publie quotidiennement des strips BD sur le TDAH (voir son compte instagram). Découvrez son interview :
Avant votre diagnostic, aviez-vous conscience de vivre avec des particularités et difficultés spécifiques ?
S.B. : Depuis l’enfance, je me sentais en profond décalage avec les autres. J’ai subi du harcèlement durant toute ma scolarité. J’ai le sentiment permanent de ne pas appartenir au monde.
J’ai vécu l’intégralité de mes 37 années, persuadée que j’étais “une erreur”. Je me sentais illégitime dans ma souffrance, parce qu’elle ne se voyait pas. J’ai aussi beaucoup lutté avec des pensées suicidaires et une grande anxiété qui pendant longtemps, ont été attribuées par mes proches, à un manque de volonté et de sérieux. J’avais le sentiment d’être un parasite qui doit choisir entre se conformer ou bien disparaître.
Parlez-nous de votre parcours de diagnostic : à quel âge avez-vous été diagnostiquée ? Y a-t-il eu un élément déclencheur qui vous a poussé à consulter ?
S.B. : J’ai été diagnostiquée en 2023 à l'âge de 37 ans. L’élément déclencheur remonte à plusieurs années, lorsque je
travaillais comme AESH (Accompagnant Élève en Situation de Handicap) en milieu scolaire. Un collégien que j’accompagnais avait le TDAH. L’aider au quotidien m’a renvoyée à toutes les difficultés que j’avais pu rencontrer à son âge. Des années avant cette rencontre, je me posais déjà des questions sur mes problèmes, et voir cela chez cet enfant m’a contrainte à regarder ce qui me faisait souffrir depuis longtemps. Il y a quelques mois, j’ai eu la crise suicidaire de trop qui aurait pu avoir des conséquences dramatiques. Alors je me suis promis de faire tout ce qu’il fallait pour m’en sortir.
Quel a été votre sentiment suite à l'annonce du diagnostic ?
S.B. : Cela a permis de redonner de la légitimité à la gamine que j’ai été. Je m’attendais à ressentir de la colère envers ceux qui m’avaient fait des reproches toute ma vie, et non. J’ai eu le sentiment de me réapproprier enfin mon histoire. Il va me falloir du temps pour déconstruire les vieux réflexes. Encore aujourd’hui, je continue parfois de me dire que je ne suis pas légitime à être reconnue comme personne souffrant d’un handicap.
Pouvez-vous nous décrire comment le TDAH impacte votre vie personnelle, professionnelle et sociale ?
S.B. : Je suis en errance professionnelle. Incapable de suivre le rythme ordinaire du monde et des exigences professionnelles, je ne comprends toujours pas les conventions sociales.
Au niveau personnel, ma vie sociale est très restreinte : mes amis se comptent sur les doigts d’une main. Je ressens un sentiment d’étouffement face à l’uniformité du monde. J’ai des angoisses permanentes, qui engendrent des blocages, des accès de colère et une grande sensibilité. Je suis saturée de devoir me suradapter en permanence à tout. J’ai un fort sentiment de solitude, dans son sens existentiel.
Avez-vous développé des stratégies pour compenser vos difficultés ?
S.B. : Depuis mes 30 ans, et davantage encore depuis le diagnostic, je n’ai plus peur de dire quelles sont mes limites. Je mets en place ce qu’il faut pour m’adapter lors d’échanges relationnels, en considérant enfin mes limites. Je n’ai plus honte de mes difficultés. Je précise toujours à mes interlocuteurs, que si mon TDAH explique des choses, il n’excuse pas tout. Par contre, ce trouble exige que l’on s’adapte à lui. Je ressens un changement de ce côté-là. Actuellement, la difficulté reste surtout d’ordre professionnel.
Avez-vous suivi des thérapies suite au diagnostic ?
S.B. : Avant mon diagnostic, je suivais depuis 2020 une TCC (Thérapie Comportementale et Cognitive) qui m’a aidée dans la reconnaissance et la gestion de mon anxiété, et m’a sensibilisée aux biais cognitifs. Depuis mon diagnostic, je prends un traitement. Je pense que je n’aurais pas pris le médicament si je n’avais pas eu de thérapie en parallèle.
Quel a été l'impact du traitement sur vos symptômes et votre qualité de vie ?
S.B. : J’ai commencé la prise il y a seulement trois mois. Je ressens des changements qui me semblent subtils, mais qui sont en réalité très significatifs. Mon impulsivité est régulée, mon mental est apaisé. Les idées sont plus claires.
Je n’ai plus de pensées suicidaires. L’anxiété n’est pas anesthésiée, mais mieux maîtrisée. Je prends plus de recul, je suis moins dans le “tout ou rien”. Mes ressentis sont beaucoup moins exacerbés, je n’ai plus d’accès de rage par exemple. J’attends de voir des améliorations supplémentaires sur le long terme. Je comprends désormais davantage que tout est lié à une sorte de dérégulation d’ordre chimique dans le cerveau, et que la volonté n’a strictement rien à voir là-dedans.
Qu'est-ce qui vous a donné envie de créer des bandes dessinées sur le TDAH ?
S.B. : À partir du moment où le diagnostic a été posé, j’ai ressenti le besoin viscéral de parler du TDAH. Et je me rends compte de l’utilité de ces petits strips (*bande dessinées), les retours que je reçois sont bouleversants. Les personnes concernées ont besoin d’être comprises, car le trouble, même s’il est aujourd’hui assez médiatisé, est au mieux minimisé, au pire dénigré. Il y a encore un long travail de sensibilisation à faire sur le TDAH.
Quel est le message que vous souhaitez transmettre à travers vos illustrations ?
S.B. : Je souhaite que les personnes ayant peu ou pas de connaissances sur le TDAH puissent avoir quelques pistes, attiser leur curiosité et qu’elles en viennent à consulter des sites comme le vôtre. J’aimerais que mes petites BD leur permettent d’échanger avec leurs proches autour de leurs difficultés. Je souhaite que ces dessins soient une invitation à repenser nos biais autour des troubles psychiques et neuropsychologiques.
Avez-vous des projets en cours ou à venir en lien avec le TDAH ?
S.B. : J’ai le désir d'œuvrer dans la sensibilisation du TDAH à court et à long terme. J’ai à cœur de briser les clichés qui perdurent. La psychophobie qui irrigue nos sociétés est un fléau et le TDAH n’en est pas exempt. Ayant également pris conscience du danger des dérives spirituelles qui s’emparent du domaine de la santé mentale, il me semble primordial à titre d’illustratrice, d’apporter ma pierre à l’édifice. La souffrance qui accompagne le TDAH ne devrait pas être abandonnée à des maladresses, voire des recommandations dangereuses.
Souhaitez-vous ajouter quelque chose à propos de votre expérience sur le TDAH ?
S.B. : Être identifiée à 37 ans remet tout en question : ces moments où l’on m’a fait me sentir illégitime, voire coupable d’être comme je suis, ils se rappellent à moi.
Ayant récemment appris que les risques de faire une tentative de suicide sont plus élevés lorsque l’on a un TDAH, savoir que ce trouble est là, en moi, et qu’il est reconnu, m’a vivement rappelé l’urgence de prendre soin de soi. Il en va de notre survie. L’illégitimité que l’on ressent peut nous pousser à nous soumettre à des choses inadmissibles. Mon diagnostic m’a rappelé l’importance de ne plus jamais céder à la peur.
Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui pensent être atteintes de TDAH ?
S.B. : Si vous sentez intimement que vous avez un TDAH, que ça envahit votre vie personnelle, sociale et professionnelle, et ce depuis longtemps, allez tout de suite voir un professionnel de santé.
Un des collégiens que j’ai accompagné m’a confié : “Savoir, c’est pouvoir”. On ne se bat pas contre le TDAH, mais avec lui. Se connaître est une chance. Le diagnostic va forcément engendrer des changements profonds, mais le jeu en vaut la chandelle.
Avez-vous des ressources à recommander pour les personnes concernées ou pour leurs proches ?
S.B. : Pour l’entourage des personnes avec un TDAH, je recommande la vulgarisatrice : Alice, Mini Coach TDAH. Et aussi, de ne pas hésiter à interagir sur les groupes Facebook pour poser des questions aux personnes concernées.
Cela fait quelques années seulement que l’on se penche sérieusement sur le sujet de la santé mentale. Non, de nouveaux troubles n’apparaissent pas. Ils ont toujours été là, mais on en parle enfin. La compréhension des maladies psychiques et des troubles neuropsychologiques évolue. Il y a 50 ans, on pensait que ces personnes étaient folles. Aujourd’hui, on comprend que les problématiques liées à la psyché sont bien plus complexes et que nous ne sommes pas fous. Comme j’aime le signaler dans certains de mes strips BD, chacun de nous a peut-être un trouble sans le savoir.