Ergothérapeute depuis 25 ans, Nathalie Desnaute s’est peu à peu spécialisée dans l’accompagnement des adultes ayant un TDAH. Découvrez son interview :
Le métier d'ergothérapeute
L’ergothérapie est un métier assez spécialisé, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre profession et votre parcours ?
N.D. : L’ergothérapie s’adresse à toute personne en difficulté dans la réalisation de ses activités quotidiennes. C’est très large puisque cela concerne toutes les activités du quotidien : s’occuper de soi et des autres, travailler, étudier, se divertir, entretenir son logement, être en lien avec les autres, etc.
En même temps c’est un métier très spécifique puisque le regard de l’ergothérapeute se porte sur l’activité, avec un seul objectif : améliorer la qualité de vie d’une personne en lui permettant de réaliser toutes les activités qui sont importantes pour elle, au maximum de ses capacités, en confort et en toute sécurité.
J’ai choisi de faire ce métier dès la sortie du lycée, bien avant d’avoir pris conscience de tout son potentiel. C’est un métier qui me correspond à 100%. Cela fait 25 ans que je l’exerce et avec toujours autant de plaisir, voire de plus en plus au fil des années.
J’ai commencé ma carrière dans des services hospitaliers et des centres médico-sociaux. Le travail en équipe était passionnant, mais je me sentais limité dans mes missions. J’ai choisi d’ouvrir mon cabinet en 2004 et depuis, j’apprécie la diversité des situations que je rencontre et les partenariats que je noue.
Qu’est-ce qui vous a progressivement attirée vers l’accompagnement du TDAH chez l’adulte ?
N.D. : Au sein de mon cabinet, il y a toujours eu une forte demande concernant l’accompagnement d’enfants avec des troubles neurodéveloppementaux. Plus récemment, ce sont des adultes qui m’ont été adressés, avec des problématiques d’organisation qui impactent leur vie professionnelle et familiale, et conduisent à des situations d’épuisement. Pour certains, le diagnostic de TDAH est posé, pour d’autres ce n’est pas le cas, mais certains, en tant que parents d’enfants diagnostiqués n’avaient aucun doute sur leur trouble.
J’ai eu la chance, à ce moment-là, d’être formée à l’approche OPC : coaching en performance occupationnelle. C’est une approche que j’ai tout de suite investie dans l’accompagnement des adultes avec TDAH. J’observe son impact fonctionnel dans le quotidien des personnes.
Je prends un réel plaisir dans ces séances et les personnes me font des retours très positifs. Cela booste mon envie de me spécialiser. Je poursuis donc ma recherche d’outils, notamment en suivant des formations proposées aux ergothérapeutes à l’international, en distanciel.
L'approche spécifique
Qu’est-ce qui est différent dans l'ergothérapie classique, de l’ergothérapie dédiée à des troubles organisationnels ?
N.D. : Les personnes viennent la plupart du temps rechercher notre expertise d’ergothérapeute : pour l’aménagement de leur logement suite à un traumatisme par exemple, un choix de matériel médical, des techniques ou des outils de manutention de personnes, des stratégies environnementales… Mon rôle à ce moment-là est d’analyser la situation et de préconiser des actions et/ou du matériel.
Concernant les troubles organisationnels, je peux tenter de proposer des solutions toutes faites, mais il y a de grandes chances qu’elles ne soient pas adaptées au fonctionnement de la personne, qu’elles n’aient donc pas de sens pour elle, et finalement que les stratégies proposées ne soient jamais mises en place.
Il est donc essentiel que je propose une approche collaborative et que je m’appuie sur l’expertise que la personne a d’elle-même. Les adultes que je rencontre se connaissent bien, ils ont déjà tenté plein de choses, ils savent ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas pour eux. Ils ont besoin d’une aide pour canaliser leurs pensées et se poser les bonnes questions. C’est ce que je tente de leur apporter.
Avec quelle approche accompagnez-vous les adultes avec un TDAH ?
N.D. : J’utilise principalement l’approche OPC : coaching en performance occupationnelle.
OPC est une approche validée. Elle a été développée à l’université d’Otago à Wellington, en Nouvelle-Zélande, par la Docteure Fiona Graham. Elle n’est pas spécifique à l’accompagnement des adultes avec TDAH, mais elle m’offre l’accompagnement que je recherchais. C’est une approche qui s’appuie sur les techniques de coaching, elle propose un vrai travail de collaboration avec la personne que j’accompagne.
Le premier défi est de définir l’objectif prioritaire. Les demandes sont souvent diffuses comme : “je souhaite arrêter de procrastiner ou j’aimerais être mieux organisé”. Ce sont des objectifs trop larges, sur lesquels il est difficile d’agir, et parfois ce n’est finalement pas ce qui est prioritaire pour la personne. En amenant à la réflexion, on s’oriente parfois sur d’autres problématiques qui vont impacter l’organisation quotidienne, comme le sommeil, la prise de traitement, trouver du temps pour soi, etc. Puis, ensemble, nous mettons en lumière des stratégies sur mesure et nous travaillons sur le prochain pas à franchir pour que les réflexions se transforment en actions concrètes dans le quotidien.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples parmi les personnes que vous avez accompagnées de solutions qu’ils ont trouvé sur des problématiques concrètes avec votre appui ?
N.D. : Oui, je peux vous en donner plusieurs. J’ai accompagné une jeune femme qui était gênée d’oublier les tâches que ses collègues lui donnaient à faire dans la journée. C’était d’autant plus difficile pour elle de s’en souvenir parce qu’elle était toujours en train de faire autre chose à ce moment-là. C’était une vraie souffrance pour elle car ses collègues finissaient par faire le travail qu’elles lui avaient demandé. Elle se disait sans cesse qu’elle n’était pas à la hauteur. Nos échanges l’ont amené à penser à un petit carnet qu’elle utilisait déjà. Elle s’est mise à faire une courte pause dans son activité pour noter les tâches supplémentaires dans ce carnet. À partir de là, elle n’a plus eu d’oublis et elle s’est rendu compte que ses collègues ne lui faisaient plus de reproches. C’était une victoire importante pour elle. Si je m’étais appuyée sur ma seule réflexion, je sais que je ne lui aurais jamais proposé d’utiliser un carnet pour noter les choses, ça me semblait être une charge cognitive supplémentaire. Elle a évoqué cet outil parce qu’il correspondait complètement à son fonctionnement. Mon rôle a été d’accompagner sa réflexion pour qu’elle puisse trouver sa solution sur-mesure.
Une femme avait de grandes difficultés pour stopper son travail le soir. Elle vivait des situations d’hyperfocalisation et se couchait très tard. Son sommeil en pâtissait et sa productivité en journée aussi. Nous y avons réfléchi ensemble et elle a choisi de se faire aider par plusieurs amis : chacun à leur tour, ils l’appelaient le soir pour l’aider à décrocher de son travail. Elle pouvait alors se coucher à l’heure qui lui permettait d’être en forme et efficace dans sa journée. 15 jours après, j’ai vu un grand sourire sur son visage. Partager ces moments est une vraie récompense !
Un jeune homme avait de grandes difficultés pour se retrouver dans les différents projets professionnels qu’il devait mener de front. Il était complètement submergé, se mettait en retard et cela perturbait l’avancée des projets pour toute l’équipe. Nous avons réfléchi ensemble à l’outil qui lui correspondrait le mieux, en fonction de ce qu’il utilisait déjà, de ce qu’il appréciait et de ce qui pourrait l’aider à y voir plus clair dans ses multiples projets. Il a choisi d’utiliser un trieur parce que le fonctionnement papier lui convenait mieux. Le soir même il l’avait acheté et le lendemain il était mis en place. C’est finalement le plus important : une stratégie qui fait sens est une stratégie qui sera utilisée.
Une autre personne perdait sans cesse ses clés de voiture. Après réflexion, elle a choisi d’utiliser une petite trousse colorée, à fermeture éclair, car elle a repéré que c’était l’outil qui lui convenait pour ranger sa clé et la retrouver facilement. Quelques années plus tard, elle l’utilise encore et ne perd plus ses clés.
Ce sont quelques exemples de solutions que je n’aurais pas pu proposer parce que je suis incapable de préjuger ce qui peut être efficace et pour qui. Mon objectif est donc d’accompagner la réflexion, de faire préciser les pensées, jusqu’à ce que la personne mette le doigt sur ce qui lui conviendrait. Le passage à l’action est facilité, même s’il n’est pas assuré à 100%.
Troubles associés au TDAH
Quels sont les troubles souvent associés que vous pouvez côtoyer dans votre pratique et comment les accompagnez-vous ?
N.D. : Je reçois des personnes avec TDAH qui présentent aussi un trouble du spectre de l’autisme. Mon approche reste la même : je m’appuie sur l’expertise de la personne pour repérer ce qui a pu fonctionner par le passé, ce qui pourrait fonctionner à l’avenir pour gérer les situations anxiogènes ou émotionnellement épuisantes.
J’ai une longue pratique avec les enfants porteurs de troubles neurodéveloppementaux, cela m’a permis de mettre en évidence un trouble neurovisuel chez une patiente avec TDAH. Je l’ai aidée à trouver des outils pour guider son regard lorsqu’elle travaille sur écran. Elle a depuis largement limité ses efforts de compensation et ne se sent plus épuisée à la fin de sa journée. C’était sa principale plainte, elle a été grandement soulagée par des outils numériques simples et une rééducation neurovisuelle.
Questions bonus
Souhaitez-vous ajouter quelque chose à propos de votre expérience ?
N.D. : En tant que thérapeute, c’est une grande satisfaction d’accompagner vers un mieux-être, c’est d’ailleurs ce qui m’a toujours mobilisé dans la pratique de mon métier.
Il me semble qu’une part importante de mon travail est d’aider les gens à retrouver un sentiment de compétence. C’est ce qui permet aux personnes que j’accompagne de se sentir suffisamment solides pour relever les futurs défis.
Avez-vous des ressources à recommander pour les personnes concernées ou pour leurs proches ?
N.D. : Votre site est particulièrement bien conçu, il est clair et les informations qu’on y trouve sont toutes actualisées et correspondent aux recommandations de bonnes pratiques.
L’association Hyper-Super TDAH France propose aussi une mine d’informations et un relais local puisqu’il y a de nombreux bénévoles en France. Leur formation en ligne est aussi très bien conçue pour toutes les personnes concernées de près ou de plus loin par le TDAH.